Voici un petit texte que j'ai écrit pour mon amie Nathalie qui me parlait de son beau métier : intuitif, spontané, bariolé de folie, de travail, de doute et de richesse. J'ai cherché à raconter son ressenti ineffable et merveilleux. C'est elle qui parle.
"Je vous présente Rosalie.
Rosalie et moi sommes amies depuis
longtemps maintenant. Au début, elle faisait simplement partie de
mon paysage amical, sans que je lui prête plus d'attention que cela,
mais depuis quelques mois tout a changé. Rosalie est devenue ma
meilleure amie.
C'est étrange comme les choses sont
faites. Je me rends compte maintenant que Rosalie a toujours été
là, qu'elle a toujours su trouver les mots, qu'elle a toujours voulu
que je sois bien, et moi je ne l'entendais pas, ou bien j'entendais
sa voix au loin, comme un écho auquel je ne voulais pas donner de
résonance. Pourquoi l'écouter? Ce qu'elle me suggérait était fou,
hors de considération. Que je lâche mon boulot ? Que je suive mes envies inconsidérées ? Vous n'y pensez pas. Rosalie était folle, j'avais ma vie et tout
était pour le mieux. Je tentais de m'en persuader et j'y parvenais
plutôt bien. Jusqu'au jour où je n'y suis plus parvenue. Plus du
tout. C'est à ce moment que Rosalie m'a ouvert les bras. Je voyais
dans son œil malicieux et néanmoins chaleureux qu'elle m'attendait
depuis longtemps. Très longtemps. Je voyais, à sa manière de
m'accueillir, ferme, résolue et confiante, qu'elle savait que je
viendrais, tôt ou tard, et qu'il était temps que j'arrive parce que
la route à faire était encore longue...
Rosalie et moi avons une relation
étroitement intime. Je ne peux rien lui cacher. Quand je veux garder
pour moi certaines choses, des choses qui font mal, des
choses dont on n'est peu fier, des faiblesses, des choses ridicules,
des choses qu'on ne veut pas montrer car elles semblent ne servir à
rien d'autre qu'à parasiter l'existence, comme des réactions
triviales, peut-être immatures, impolies et sûrement inutiles,
alors Rosalie n'est plus vraiment elle-même. Elle est insatisfaite.
Je vois bien qu'il lui manque quelque chose. Elle ne s'amuse plus. Je
lui propose de se contenter de toute la matière qu'elle a déjà et
je résiste à lui montrer ces choses qu'elle demande à voir. Mais
non. Elle est intransigeante. Le petit truc que je me refuse à lui
donner semble être la seule chose dont elle a le plus besoin, là,
maintenant. Elle veut tout ! Ce que j'ai de faible comme de
fort, de beau comme de laid, de grand comme de petit, de riche comme
de pauvre, de lumineux comme de noir. Alors je suis bien obligée de
lui donner tout de moi avec une sincérité crue. Sans jugement
d'aucune sorte, Rosalie prend. Avec enthousiasme, elle prend tout.
D'un grand geste ravi, elle se saisi de tout ce qui me fait, et
bizarrement, par je ne sais quelle magie, elle transforme mes états
d'âme les moins glorieux en une chose merveilleusement humaine. De
tout ce que je suis et ce que je donne, Rosalie en fait une matière
humaine universelle, belle et nuancée, surprenante et simple à la
fois, imprévisible et toujours juste cependant. Elle m'oblige à me
réconcilier avec moi-même à chaque instant. Elle m'entraîne à
être intégralement moi.
J'ai appris à lui faire confiance et à
tout lui montrer, sans plus me poser de question. Ainsi, elle et moi,
avançons main dans la main, nous avançons sereinement et
solidairement.
Rosalie a besoin de sincérité car là
où nous allons, nous ne pouvons pas y aller sans.
Elle et moi allons à la rencontre de
l'autre. Cet autre est souvent âgé, assis sur une chaise dans une
maison de retraite, allongé sur un lit dans une chambre
impersonnelle. Le regard parfois absent, l'esprit ailleurs,
recroquevillé dans les quelques souvenirs de toute une vie ou bien
perché dans un des recoins de l'univers, cet autre, personne ne le regarde
plus vraiment. Quand Rosalie et moi arrivons, nous savons ce que nous
avons à faire : une chose simple et terriblement compliquée à
la fois, un « tour de magie » en quelques minutes.
Je vois Rosalie s'avancer vers cet
autre. Gonflée à ras-bord de toute sa personne, remplie de
l'intégralité de ce qu'elle est, elle lâche prise et déconnecte.
Elle n'est plus qu'écoute. Improvisant une parole amusante, elle
crée un monde nouveau à partir des petits objets sur lesquels se
pose son œil réceptif. Une chambre sans attrait, des tuyaux fins et
une poche de liquide, deviennent un bord de rivière où il fait bon
pêcher de gros poissons tout mous. Un lit familier devient un tapis
volant dominant aussi bien le pays des merveilles qu'un coin de
Normandie où une grosse fermière trait des vaches récalcitrantes.
Rosalie s'amuse mais elle ne peut s'amuser seule. Elle doit aller
chercher cet autre, où qu'il soit, établir un lien, provoquer une
réaction. Quand elle le trouve, ce lien avec l'autre, il lui faut
l'entretenir et prolonger l'amusement collectif.
Rosalie ne peut trouver ce lien que si
elle est sincère et juste, et elle ne peut être sincère et juste
que si elle se fait confiance. Une confiance aveugle en ce qu'elle
est et en son ressenti. Une confiance en ce qu'elle fait car ce
qu'elle fait a du sens, véritablement. Alors seulement elle peut
écouter l'autre silencieux. Entendre ce qu'il ne dit pas. Le
trouver, où qu'il soit, et le prendre par la main. Lui montrer des
choses qu'il ne voit pas et l'amuser, pour quelques précieuses
minutes qui continueront à s’égrainer dans son esprit bien après
que Rosalie soit partie.
Si Rosalie est incomplète, qu'elle ne
se rend pas totalement disponible à l'assaut de spontanéité qui
permet à la magie d'opérer, alors Rosalie ne s'amuse pas. Elle est
à côté, elle n'est ni juste ni sincère dans son propos, dans le
regard qu'elle porte autour d'elle. Elle devient sourde. Elle n'amuse
alors personne, ou elle n'amuse pas vraiment. Pour être complète,
Rosalie a besoin de moi. Je dois tout lui donner sans faire la fine
bouche, sans douter de l'intérêt et de l'utilité de certains de
mes traits. Je dois être intégrale autant qu'intègre. Je suis la
matière première de Rosalie, sa source la plus précieuse,
intarissable et en continuel mouvement.
Je suis Nathalie. Je suis Rosalie et je suis un clown."
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